violinist, recording artist, podcaster & writer

•  MAY 2024 - Review - Musique Classique Mag - Clément Landru




Une Œuvre / Une Interprétation

Johannes Brahms (1833 -1897)
Rachel Kolly, Violon
Christian Chamorel, piano
Label Indesens - Calliope

Dès les 1ères mesures, on sent que ces deux (grands) musiciens ont mille choses à se dire et à partager. Même si la sonate est titrée « pour violon et piano », jamais, à aucun moment, un instrument ne veut étouffer l’autre – ou du moins, le reléguer au simple rang d’accompagnateur, ou pire – de faire-valoir. Comme - hélas, parfois, Anne Sophie Mutter qui cantonne le pianiste au rang de faire valoir.

Ce disque, une nouveauté, démontre, si tant est qu’il le faille vraiment, à quel point Rachel Kolly est une grande violoniste. Dans cette sonate, elle injecte une lumière ici, une étincelle là, une nuance plus loin - qui semblent enrichir encore plus la Regensonate.

La manière dont Rachel Kolly attaque certaines notes, ses coups d’archet, les couleurs qu’elle tire de son violon nous renvoie – parfois, aux très grands « Anciens » – Jascha Heiftez, Josef Suk entre autres… ou encore Julia Fisher, Hilary Hahn ou Itzhak Perlman - pour évoquer certains artistes d’aujourd’hui.

Christian Chamorel, qui a fait déjà fait ses preuves aussi bien en tant que soliste, mais surtout super-chambriste, capte idéalement les intentions de sa partenaire, la devance parfois, anticipe toujours. La très belle sonorité de Rachel Kolly s'entrecroise, s’accorde idéalement avec le toucher tout en nuances de Christian Chamorel. A travers le caractère un peu mélancolique de la Regensonate, c'est toute une gamme des sentiments, d'émotions que l'on (entr)aperçoit.

Voici donc une des rares Sonates 1 Opus 78 de Brahms à mettre au même rang que certains « Grands Anciens », vers lesquels on revient aussi.

Ce dialogue exceptionnel, cette complicité quasi innée entre les deux artistes s’applique aussi naturellement aux deux autres sonates, les Sonates N° 2 et 3, Opus 100 et 108 :

La seconde sonate est composée en août 1886 en Suisse, à Thoune, sur le lac du même nom, près de Berne. Publiée en 1887, c'est chez le poète bernois Josef Viktor Widmann qu’a eu lieu le déchiffrage de l'ouvrage, et qui la surnomma Thuner Sonate. «Aucune œuvre de Johannes ne m'a ravie aussi complètement. J'en ai été heureuse comme je ne l'aurai été depuis bien longtemps.» déclarera Clara Schumann après l’avoir écoutée. On notera qu’une des citations –dans le dernier mouvement— est sans doute celle du Lied Meine liebe ist grün, sur un poème de Felix Schumann, fils de Robert et Clara décédé en 1879 (Claude Rostand).

Les trois premières notes du premier mouvement sont très proches d’un point de vue mélodique du début du Morgendlich leuchtend im rosigen Schein chanté par Walther dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner. C’est pour cette raison que cette Sonate pour piano et violon no 2 est parfois surnommée "Meistersinger" Sonata. Par ailleurs, c’est durant ce même été que s’achèvent la composition du troisième Trio pour piano, violon et violoncelle et la seconde sonate pour violoncelle et piano.

Seule à posséder quatre mouvements, la troisième sonate Opus 108 sera la plus sombre par les timbres et la plus intense par l’expression. Composée en même temps que la deuxième, elle sera achevée deux ans plus tard et sera présentée à Budapest par Brahms et le violoniste hongrois JenÅ‘ Hubay. Brahms dédiera cette sonate à Hans von Bulow, le grand chef-pianiste ami de Richard Wagner, pour lui témoigner sa reconnaissance pour l’avoir constamment soutenu malgré ses liens avec Wagner et pour avoir regulierement joué sa musique.

Le même raffinement, doublé d’une extrême compréhension entre les deux artistes jamais ne faiblit. Ajoutons à cela la sonorité exceptionnelle du Stradivarius de 1732 de Rachel Kolly, dont Christian Chamorel suit les moindres inflexions, en épouse les moindres nuances.

Quant au Scherzo en Ut mineur, il faisait partie d’une sonate composée conjointement par Brahms, Schumann et Albert Dietrich en Octobre 1953, la sonate FAE - à l’intention du jeune Joseph Joachim.

Pour conclure, l’écoute mutuelle entre ces deux Artistes est d’une qualité exceptionnelle. Jamais l’un(e) ne hausse le ton face à l’autre ou ne tire la couverture vers soi : c’est tout simplement une conversation, un dialogue entre deux Amis - une conversation qu'on écoute sans en perdre une miette ! C’est quasiment une étreinte musicale entre Rachel Kolly et Christian Chamorel, complices depuis trente ans – plus proche du ciel d’été de Thoune, en Suisse que les " brumes" de Hambourg.

Précisons que l’enregistrement a été réalisé dans l’exceptionnelle salle de la Chaux de Fonds. Quant à la pochette du disque, elle a été prise au bord du lac de Thoune, là exactement où Brahms a composé deux de ses sonates.

Voilà pour qui veut découvrir une autre approche, un autre éclairage datant d’aujourd’hui !


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