violinist, recording artist, podcaster & writer

• 16 MAR 2024 - Interview - Liberté - Elisabeth Haas




Rachel Kolly: «Je m’épanouis pendant les sessions d’enregistrement»

La violoniste romande vient de sortir, en duo avec le pianiste Christian Chamorel, un splendide enregistrement des trois Sonates pour violon de Brahms. Tous deux partent cette année en tournée internationale avec ces œuvres pour marquer les 30 ans de leur duo.
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Le duo entre la violoniste Rachel Kolly et le pianiste Christian Chamorel est fidèle depuis 1994. © Christian Meuwly
Elisabeth Haas

La musique de Brahms, comme une confidente, comme une récompense aussi! La violoniste romande Rachel Kolly vient de sortir son nouveau disque à l’orée d’une tournée anniversaire: cela fait trente ans exactement qu’elle joue en duo avec son complice de toujours, le pianiste Christian Chamorel. Les trois
Sonates pour violon de Brahms feront partie de leur voyage à Paris, Londres, Berlin, Vienne, la Tonhalle de Zurich, le Carnegie Hall de New York, Chicago, Boston, entre autres… Une grande tournée accompagnée de cette musique incroyablement intense, qu’elle porte comme une évidence, avec une intelligence et une profondeur remarquables.
Nous l’avons rencontrée à Neuchâtel, un jour où elle allait montrer son Stradivarius à son luthier habituel. «Ouvrir sa boîte à violon tous les jours et avoir ce genre d’instrument à disposition, c’est magique, c’est indescriptible, raconte Rachel Kolly. J’aime dire que j’appartiens au violon et que ce n’est pas moi qui possède l’instrument. Je ne suis qu’une personne de passage, il me survivra.»
Vous publiez un nouveau disque tous les deux-trois ans: dans un marché difficile, qu’est-ce qui plaide encore pour se lancer dans l’aventure discographique?
Rachel Kolly: Je n’ai jamais connu autre chose que la participation complète de l’artiste. Je n’ai pas connu l’âge d’or du disque. Quand j’ai publié mon premier disque, en 2005-06, certains étaient scandalisés parce que les artistes devaient payer pour leur enregistrement. Pour moi c’était normal. Ce n’était déjà pas un marché florissant. Pour le grand public, c’est difficile à imaginer. Le disque des Partitas de Bach en 2020, je l’ai enregistré deux fois: financièrement ce n’est pas intéressant.
Mais je pense que je suis une bonne violoniste sur disque. Je m’épanouis pendant les sessions d’enregistrement. Je travaille pour un idéal: le disque permet d’atteindre ces petites choses infimes que j’essaie de gratter. Rien n’est laissé au hasard, je peux aller chercher dans les détails. Souvent ce sont des moments où j’ai été heureuse d’aller au bout de quelque chose. Et un label reste une marque de sérieux. Un disque, c’est une carte de visite.
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«Le disque permet d’atteindre ces petites choses infimes que j’essaie de gratter» Rachel Kolly
Pourquoi les Sonates pour violon de Brahms?
Pendant longtemps je me suis demandé pourquoi enregistrer un répertoire qui a déjà été enregistré mille fois. Quand j’ai réalisé mon premier CD, la question initiale a été: qu’est-ce que je joue bien? Où est-ce que je peux apporter quelque chose? Pendant mes études, la validation des professeurs, des adultes a probablement dicté des choix au début de ma carrière. Je voulais être prise au sérieux, je me suis cantonnée au répertoire que je croyais jouer très bien. J’ai enregistré Ysaÿe, Chausson, Lekeu, Strauss, Bernstein, c’étaient toutes des pièces rares ou peu jouées.
Et Brahms? Parce que j’aime ces sonates et que j’ai enfin la maturité! Avec le pianiste Christian Chamorel, nous avons beaucoup tourné des répertoires particuliers. Pour nos 30 ans en duo, nous avons eu envie de ces sonates. Nous avons fait une longue préparation, nous avons comparé les versions qui existent. Ce n’est pas une musique spectaculaire, c’est une musique subtile, extrêmement intime, qui n’a pas été écrite pour le monde.
Vous écrivez qu’elles ont été composées à des moments différents de la vie Brahms. Elles sont très riches émotionnellement…
La première reste délicate. Dans notre tournée, nous commençons par la deuxième, c’est une bonne entrée en matière, elle a un côté pacifié, maternel, paisible. La troisième, c’est celle que les violonistes aiment pour son côté festif.
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Comment expliquer la fidélité de votre duo depuis 1994?
J’ai joué avec beaucoup de pianistes. Christian Chamorel reste mon meilleur ami, nous sommes complices aussi en dehors de la musique, c’est une relation unique. Quand nous jouons, c’est comme être à la maison. Nous venons du même conservatoire (Lausanne, ndlr), nous avons donné des concerts jusqu’en 1996-97, ensuite nous nous sommes perdus de vue. Nous nous sommes retrouvés plus tard, en tant que jeunes adultes. Nous ne faisons aucun compromis musical. Nous avons par exemple développé ensemble une idée de concerts à la criée, il fallait préparer une dizaine d’heures de programme, ce n’est qu’avec lui que je pouvais me mettre en danger comme ça.
Son chat l’aura aidée à graver un disque consacré à Hermann Suter
pastedGraphicLa violoniste Rachel Kolly en pleine séance d’enregistrement avec l’Orchestre de chambre fribourgeois. © Christian Meuwly

En marge de sa tournée internationale aux côtés de Christian Chamorel, Rachel Kolly a encore un autre projet sur le feu. Elle a travaillé il y a un an le Concerto pour violon d’Hermann Suter, qu’elle a joué en concert aux côtés de l’Orchestre de chambre fribourgeois. «C’est une œuvre sublime, à mi-chemin entre Wagner et Mahler, c’est immédiatement fascinant. Une musique que j’aime, témoigne la violoniste. Je voulais l’enregistrer. J’ai donc commencé à chercher des fonds, envoyant comme je l’ai toujours fait un dossier. Je pensais qu’avec un compositeur suisse méconnu et un orchestre suisse j’obtiendrais des soutiens financiers. Mais je n’en ai obtenu aucun.» Par le hasard algorithmique des plateformes numériques, elle a trouvé un «seul et unique contributeur» grâce à une vidéo postée en ligne, non pas musicale, mais de son chat Grenouille, qui a cartonné… «Le budget est élevé, poursuit Rachel Kolly. C’est moi qui ai dû trouver les fonds nécessaires. J’ai enregistré le concerto, mais pour l’heure je n’ai pas les fonds pour graver une deuxième partie.»
>Brahms, Violin Sonatas, par Rachel Kolly & Christian Chamorel, IndéSens Calliope Records.