• 02 DEC 2015 - Interview - 24 heures - Matthieu Chenal
Surprenante Rachel Kolly d’Alba! La violoniste d’origine fribourgeoise a imposé dans le milieu de la musique classique un style décalé, un brin provocant, très bien assumé, au point que les médias l’ont décrite comme «pulpeuse», «volcanique» ou «glamour». La presse anglaise l’a cataloguée «violoniste gothique» alors que l’Italie la voit comme la «Heidi du violon»… L’intéressée assure qu’elle ne fait aucun cas de son look et que son seul but est de convaincre musicalement. La rouquine avoue même que sa notoriété médiatique a pu être contre-productive: «J’ai irrité des gens à force d’être dans la presse, en particulier en Suisse alémanique, où je ne suis jamais invitée. » A Lausanne, elle joue régulièrement en musique de chambre, mais pas si souvent avec orchestre: l’OSUL et son chef, Hervé Klopfenstein, l’accueillent pour un concert Brahms cette semaine*.
Heureusement, on ne changera pas la Montreusienne d’adoption, qui s’est construite toute seule, comme si violon et littérature avaient été les armes de sa volonté farouche d’indépendance. Aujourd’hui, elle apparaît très sûre d’elle, dans son répertoire concentré sur la fin du XIXe siècle et le XXe, mais aussi dans ses goûts (son appartement montreusien regorge de meubles et de tableaux anciens) et son choix de vie – divorcée, elle habite à deux pas de son ex-mari pour faciliter la garde de leur fille et son compagnon est un chef d’orchestre américain toujours en déplacement.
Cette identité forte est le fruit d’un travail inlassable, d’un doute permanent: «Petite, je n’ai jamais imaginé être soliste. » Dans la bouche de Rachel Kolly d’Alba, l’affirmation surprend, car on imagine mal aujourd’hui la violoniste ailleurs que sur scène, interprétant sonates ou concertos sur son précieux stradivarius prêté pour vingt ans par un mécène français. Depuis l’âge de 5 ans, l’amour de la musique et de son instrument a été plus fort que tout. C’est elle qui a demandé, à 10 ans, à entrer au Conservatoire pour travailler davantage; c’est elle qui, à l’adolescence, travaillait sept à huit heures de violon par jour le week-end, alors que ses parents ne l’ont jamais poussée. C’est elle encore qui a réussi à les convaincre de la laisser quitter l’école pour se consacrer pleinement à la musique: «Obéir me hérissait le poil et je ne supportais pas le travail rébarbatif. En classe, j’étais rebelle, je m’habillais en hard rockeuse et mes profs me prenaient pour une crétine. Ce n’est qu’au Conservatoire, dans un monde d’adultes, que j’ai été prise au sérieux. »
Hervé Klopfenstein se souvient bien d’elle au début des années 90, alors qu’il dirigeait l’Orchestre des jeunes du Conservatoire de Lausanne. «Rachel avait une posture au sein de l’orchestre, une façon de se tenir, rayonnante, de regarder devant elle, évoque l’actuel directeur de l’HEMU. En soliste, elle avait sa manière d’investir l’espace. On sentait que c’était quelqu’un qui pouvait faire du chemin. » Elle n’a alors que 12 ans et obtiendra son diplôme d’enseignement à 15!
Avec un tel talent, comment croire que son rêve n’était pas d’égaler les solistes qu’elle admirait? «Mon père travaillait à la radio comme responsable des émissions religieuses. J’étais souvent dans les locaux de la Sallaz et j’ai assisté très jeune à des concerts de l’OCL. Les Zuckermann, Perlmann ou Vengerov me semblaient inatteignables. C’est que ma prof de violon au Conservatoire, Mme Jaquerod, était très dure avec moi. Comme elle me donnait des heures supplémentaires, je croyais que c’était parce que j’étais nulle!» Or c’était le contraire. Avec la distance, la violoniste reconnaît que la méthode était peu pédagogique mais lui a bien convenu, la poussant à se surpasser.
Le défi se poursuit à la Haute Ecole de musique de Berne, où elle se perfectionne auprès d’Igor Ozim en vue d’un diplôme de soliste: «J’étais la seule Suissesse et je sentais que j’avais du retard par rapport à d’autres techniquement plus doués. L’urgence vitale a été de me démarquer par d’autres qualités. » Ce sera par le biais du répertoire, en proposant à son professeur des œuvres qu’il connaissait mal (Busoni, Bartók, Lekeu, Szymanowski) et en se passionnant pour l’art du vibrato des grands solistes du début du XXe siècle**. D’abord en les imitant, puis en se forgeant le sien: «Un jour, le violoniste Ivry Gitlis m’a dit:«Ton boulot, c’est de faire ressortir ce qui va faire que c’est toi. Et ça va te prendre toute ta vie. »Aujourd’hui, c’est le seul travail qui m’intéresse. »
Note:* Lausanne, salle Métropole Jeudi 3 déc. (20 h 30). Loc. : 0900 325 325 www. osul. ch ** Réécouter sur le site d’Espace 2 sa série de «Musique en mémoire» sur le vibrato (17-21 août 2015). Rediffusion: 26-30 janv. 2016.